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Doubles victimes

 13.01.2023

Doubles victimes


Les nations coloniales n’ont décidément reculé devant rien au nom de leur sacrosainte mission de civiliser. Elles se sont servies des indigènes comme main d’œuvre gratuite et, en cas de besoin, elles les enrôlaient dans leurs armées coloniales pour s’en défaire le moment venu.

Les tirailleurs sénégalais sont les derniers survivants de cette pratique coloniale que la France a essayé de camoufler par tous les moyens possibles.

En 1857 le général Louis Faidherbe, gouverneur du Sénégal, créa ce corps d’armée constitué uniquement d’indigènes. Ils servaient à pallier le manque de soldats français prêts à quitter la métropole pour rejoindre l’Afrique. Ces supplétifs africains aidaient le pays colonisateur de leur propre continent. Un paradoxe qui caractérise tous les contingents indigènes en service de leur « maître blanc », que ce fût l’Allemagne, la Belgique ou la Grande-Bretagne.

La France ne rechignait pas à envoyer cette « force noire », très souvent contre leur gré, se battre sur les champs de bataille de la « Grande-Guerre » pour aider à sauver « l’empire colonial » français en péril. En 1916 leur engagement « héroïque » contribua à la reprise du fort de Douaumont.

Pendant la Seconde Guerre mondiale ces bataillons furent engagés dans différentes opérations guerrières, jouant un rôle essentiel lors du débarquement en Provence, faits qui sont longtemps restés ignorés à dessein. Il ne faut pas oublier dans ce contexte que de Gaulle a le 27 octobre 1940 depuis son exil à Brazzaville proposé la constitution d’un Conseil de défense de l’empire. Comme pour Pétain, ce qui comptait pour de Gaulle c’était l’avenir de l’empire, pour la France on verrait plus tard. Une facette de la politique de de Gaulle à dessein ignorée, or de Gaulle savait que l’avenir de la France se situait dans le maintien de son empire colonial. Et ce ne fut pas un hasard que la période d’après-guerre fut constituée de guerres coloniales initiées par la France, en Algérie et Indochine, par exemple. Pour ces guerres-là l’on avait créé les forces de la Légion étrangère.

Le « blanchiment des troupes coloniales » avait déjà commencé dès l’automne 1944. Les tirailleurs sénégalais de la 9e division d’infanterie coloniale sont remplacés par de jeunes volontaires, voire résistants au fur et à mesure que l’on avance en Provence. Apparemment cela faisait mauvaise impression, « des troupes coloniales libérant la France ». Alors que les tirailleurs sénégalais croyaient être devenus les égaux des blancs, après toutes les prouesses militaires qu’ils avaient accomplies, ils se trompaient. Ils restaient de la « chair à canon de 2e classe ». Rien n’avait changé depuis mai-juin 1940 où la « Wehrmacht » exécutait plus de 3.000 tirailleurs. On les avait séparés auparavant des soldats blancs français. Ceux-ci avaient le droit au statut de prisonnier de guerre. Le racisme ne fait pas halte devant l’uniforme, les soldats noirs américains ont fait la même expérience.

Le 1er décembre 1944 la gendarmerie française et l’armée coloniale tirent à arme lourde sur un contingent de tirailleurs à Thiaroye dans la périphérie de Dakar, alors que ceux-ci ne faisaient rien d’autre que de réclamer le solde de leur captivité. L’on parle « officiellement » de 70 morts. Fr. Hollande a dû reconnaître la responsabilité de l’armée française.

Et toute la lumière n’a pas encore été faite sur ce qui s’est passé ce jour-là. Et il faudra encore attendre car ce n’est pas le moment d’aller fouiner dans les dossiers politiques et militaires de l’époque. Tout un système politique risquerait d’être ébranlé. Il y va de la « grandeur d’une nation ».

En des mots très simples D. Sow, 87 ans, servant sous les couleurs de la France pendant 9 ans (1952-1961), résume : « La France s’est servie de nous, nous a pressés comme des citrons et puis nous a oubliés » (cf. J. Solonel, envoyé spécial au Sénégal, 2022).

Mais la version officielle est une autre, la colonisation française, comme celle de ses consœurs, n’était rien d’autre qu’un élément d’une mission civilisatrice ayant engendré quelques dommages collatéraux !

Edouard Kutten