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Monuments et commémoration

04.08.2021

Monuments et commémoration


Dans quelque pays que ce soit les inscriptions que l’on trouve sur les monuments aux morts sont, malgré leur monotonie, très révélatrices.

En scrutant tant soit peu les événements auxquels ses monuments se réfèrent, l’on découvre leur caractère mensonger, chauviniste et nationaliste. Il s’agit toujours de cacher la vérité et de justifier quelque chose.

Quant à l’esthétique de ses monuments, elle a bon dos et du mal à dissimuler le contrôle politique exercé sur la construction des monuments aux morts. Les directives politiciennes contrôlent la formulation des inscriptions jusqu’à la moindre citation. Impensables des textes comme « A ceux qui sont morts croyant défendre les belles vertus de la race humaine, alors que les guerres n’ont jamais été que la misère du peuple ».

Impensable encore de nos jours, et en France, se rapportant à la Guerre de 1914-18, cela frôlerait le blasphème. Il faut continuer à justifier l’injustifiable. Poincaré parlait d’une « moisson glorieuse » en se référant au carnage immonde de la Grande guerre.

En 1920, à Tarnos dans les Landes, le bourgmestre communiste fut destitué par le préfet parce qu’il refusait de changer les inscriptions au monument aux morts disant : « La population de Tarnos à ses 89 regrettés de la Grande Guerre 1914-18. L’humanité n’a qu’un chemin, la Paix. Les guerres n’ont jamais été que la misère du peuple. Souvenez-vous ! Mères de famille, que l’avenir dans la paix vous réserve plus de gaîté. » Ces paroles furent jugées trop antipatriotiques par les instances politiques. Et pour empêcher à l’avenir des dérapages pareils, 36.000 communes furent forcées entre 1918-24 à ériger des monuments aux morts conformes en tout. L’Etat couvrait 50 % des frais.

Au Luxembourg il est étonnant que les monuments aux morts se rapportant aux victimes de la Guerre 1940-45 et aux enrôlés de forces se ressemblent comme deux gouttes d’eau. Ici aussi on trouve des textes officiels se perdant dans une neutralité anonyme.

Que la Première Guerre mondiale ne se retrouve pas commémorée par des monuments au Luxembourg, tient au fait qu’elle ne se prête pas à des interprétations héroïques « posthumes », comme la Deuxième Guerre mondiale. Il fallait d’abord « réhabiliter » la maison grand-ducale et rendre la monarchie populaire. La remise en marche chaotique d’un système économique et social laminé sous la houlette du capital faisait souffrir les classes populaires, les grandes fortunes industrielles étaient en train de se construire. Tout mouvement syndicaliste fut réprimé. Le 21.04.1921 fut mis fin à une grève de plusieurs semaines grâce à l’intervention des forces de l’ordre luxembourgeoises, renforcées par les forces françaises. Pas de monument pour les grévistes !

Le cléricalisme était de toutes les parties, il s’était fait une solide santé avant, pendant et après les deux guerres. La France avait sa Jeanne d’Arc canonisée, comme par hasard en 1921 la « fête de Jeanne d’Arc » fut célébrée dans toutes les communes, drapeau au fronton des mairies. Les préfets y veillaient. Le Luxembourg avait été placé sous la bonne garde de la Vierge Marie, un culte dont ont su tirer profit les politiciens de droite, mais pas uniquement ! Les statues de Marie ne manqueront pas.

Et l’on eut l’idée d’intégrer Marie-Adélaïde dans ce jeu de manipulation. Après l’abdication de celle-ci, il fallait stabiliser de nouveau la monarchie en lui donnant des racines dans le patrimoine patriotique, faire oublier la sympathie de Marie-Adélaïde pour ses cousins autour de l’Empereur de l’Allemagne. Pas question de monument, mais la création d’un mythe autour de Marie-Adélaïde. Une littérature ad hoc était prête à façonner cette commémoration qui devint part entière de la mémoire patriotique si souvent manipulée aux besoins de la cause. Marie-Adélaïde devint ainsi la marraine des pauvres et des délaissés. Le poème de W. Goergen est un échantillon de cette culture de la mémoire commanditée. « Wé d’Kinnigin Elisabeth Drés du dem Aarme Le’ft a Bro’t, Strés Ro’sen op sei Krankebett, Bis d’Hand dech brecht vum be’sen Do’d ».

La commémoration des grandes figures est instrumentalisée et sert de garde-fous en période difficile. Il suffit de savoir s’en servir au bon moment. Or ces « icônes du monde libre », que ce soit Churchill, Napoléon, Kennedy ou De Gaulle, ne résistent pas à une analyse approfondie et objective de leur passé. Mais une bonne manipulation médiatique, assistée d’un révisionnisme historique adéquat, ont réussi à pousser la commémoration à l’extrême finissant souvent dans une vénération aveugle et aveuglante, base de tout patriotisme à caractère nationaliste.

Quant aux communs des mortels, ils sont tous morts pour la patrie, que ce soit les Français en Indochine ou au Maghreb, les Luxembourgeois en URSS ou en Corée, les Italiens en Ethiopie, les Anglais en combattant les Zoulous en Afrique du Sud, les Portugais en Angola ou les US-Américains au Vietnam, etc.

Anatole France a bien résumé leurs points communs : « On croit mourir pour la patrie, on meurt pour les banques et les industriels ».

Quelle manipulation monumentale !

Edouard Kutten